L’admission des témoignages anonymisés dans le cadre d’un contentieux prud’homal

Dans un arrêt du 19 mars 2025 la chambre sociale de la Cour de cassation vient confirmer une évolution majeure du droit de la preuve en matière prud’homale : les témoignages anonymisés peuvent désormais, dans certaines conditions strictes, être retenus comme preuve dans le cadre d’un contentieux.

La distinction entre témoignage anonyme et anonymisé est déterminante. Le premier, dont l’auteur est inconnu de toutes les parties, ne peut jamais constituer l’unique fondement d’une décision, en raison de l’atteinte au principe du contradictoire. En revanche, le témoignage anonymisé, dont l’identité est connue de la partie qui le produit mais non révélée au juge ni à la partie adverse, peut, sous certaines conditions, être déterminant.

Depuis plusieurs années, la Haute juridiction admet la production de preuves illicites ou déloyales, à condition que leur utilisation soit indispensable à l’exercice du droit à la preuve et que l’atteinte aux droits en présence soit proportionnée (sur ce sujet retrouvez notre article « Revirement de la Cour de Cassation sur la recevabilité des preuves : Attention toute parole pourrait être retenue contre vous ! »). Ainsi, depuis 2023 la jurisprudence prenait en considération les témoignages anonymisés, mais seulement lorsque ceux-ci étaient corroborés par d’autres éléments de preuves. Cette approche trouve ici un prolongement naturel.

Dans l’affaire jugée, un salarié contestait son licenciement disciplinaire fondé uniquement sur de tels témoignages. La Cour d’Appel avait écarté ces preuves faute de pièces complémentaires. La Cour de cassation censure cette approche : elle rappelle que le juge doit mettre en balance les intérêts en présence (droits de la défense et obligation de sécurité de l’employeur) et précise qu’il peut retenir des témoignages anonymisés non corroborés si deux conditions cumulatives sont remplies :

  • Leur production est indispensable à l’exercice du droit à la preuve ;
  • L’atteinte aux droits procéduraux (égalité des armes, contradictoire) est strictement proportionnée au but poursuivi.

Dans cet arrêt, trois éléments ont justifié la recevabilité de tels témoignages : leur contenu avait été porté à la connaissance du salarié, permettant un débat contradictoire, ils avaient été recueillis par un huissier de justice, et les faits dénoncés s’inscrivaient dans une continuité comportementale déjà sanctionnée.

Le signal est clair : la Cour ouvre une brèche maîtrisée mais réelle dans le principe du contradictoire, au nom de la protection de la sécurité au travail. En réaffirmant l’usage des témoignages anonymisés (souvent les seuls disponibles en cas de harcèlement ou d’agissements violents) la Cour de cassation offre à l’employeur un outil précieux, tout en maintenant un strict contrôle de proportionnalité.

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