L’appelation « France », une antériorité reconnue

Cour de Cassation, ch. Commerciale, 6 avril 2022, n°17-28.116

Par un arrêt rendu le 6 avril 2022, la Cour de Cassation a jugé que l’appellation « France » constituait pour l’Etat français un élément d’identité, pour lequel il est en droit de revendiquer un droit antérieur au sens du Code de la Propriété Intellectuelle.

Les faits de l’espèce sont les suivants :  une société de droit américain « France.com Inc. », qui avait déposé le nom de domaine france.com en 1994, a découvert qu’une  société néerlandaise Traveland Resorts avait déposé en 2009 plusieurs marques françaises et de l’Union Européenne « France.com ».

La société américaine a assigné la société néerlandaise afin d’ obtenir le transfert de ces marques ce qu’elle a obtenu grâce à un accord transactionnel.

Cependant l’Etat français, est intervenu à l’instance,  et a demandé la nullité des enregistrements ainsi que le transfert à son profit du nom de domaine, ce qu’il a obtenu.

La Haute Cour a ainsi rejeté  les trois arguments avancés par la société américaine.

 1. La forclusion par tolérance

La société France.com Inc. invoquait, au titre de l’article L 716-2-8 du Code de la Propriété Intellectuelle, la forclusion de l’action  aux motifs que celle-ci avait été introduite plus de cinq années après l’enregistrement de la marque France.com.

Cependant, la Cour écarte cet argument aux motifs que celui qui oppose la forclusion par tolérance à une action en nullité de sa marque, doit démontrer un usage honnête et continu depuis plus de 5 ans, ce qui ne saurait se déduire de son seul enregistrement.

La société France.com Inc devait également démontrer la connaissance qu’avait le titulaire du droit antérieur, qui lui est opposé.

En l’espèce, la société américaine se bornait uniquement à invoquer la date de l’enregistrement de sa marque comme point de départ de la forclusion par tolérance, or cet élément est insuffisant. En effet, la seule publication de l’enregistrement de la marque seconde ne suffit pas à établir la tolérance par le  titulaire du droit antérieur (Cass., com., 15 juin 2021, n°08-18.279).

En conséquence, la société américaine n’était pas fondée à invoquer la forclusion par tolérance à l’encontre de l’Etat français.

2. Les droits antérieurs de l’Etat français sur l’appellation de son pays

La Cour de cassation a également retenu que l’appellation « France » désigne le territoire national dans son identité économique, géographique, historique, politique et culturelle, pour laquelle l’Etat français est en droit de revendiquer un droit antérieur au sens de l’article L. 711-4 du Code de la Propriété Intellectuelle.

La Cour retient également que l’extension « .com » n’est pas de nature à modifier la perception du signe, « de sorte que le public identifiera les produits et services désignés à l’enregistrement des marques comme émanant de l’Etat français ou à tout le moins d’un service officiel bénéficiant de sa caution ». Le risque de confusion est donc caractérisé, et même renforcé par la représentation stylisée des frontières géographiques de la France sur le signe.

La position de la Cour peut être lue à l’aune de décisions récentes qui ont mis en exergue la question du caractère déceptif, au sens de l’article L 711-3 du Code de la Propriété Intellectuelle (dans sa version antérieure à l’ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019) d’un signe susceptible de laisser croire à la caution d’un organisme officiel. Ont en effet été rejetées les demandes d’enregistrement des marques semi-figuratives « PALAIS DE L’ELYSEE » (CA Aix-en-Provence, 2e ch., 3 juillet 2014, 13/244090) et « ORIGINE FRANCE GARANTIE » (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 1er mars 2016, 15/15779).

3. Le transfert forcé du nom de domaine, une atteinte au droit de propriété ?

Enfin, la société américaine avançait que forcer le transfert du nom de domaine france.com serait une atteinte au droit de propriété garanti par l’article 1 du Protocole n°1 à la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

La Cour répond par la négative et ajoute également que l’enregistrement d’un nom de domaine ne confère pas à son titulaire un droit de propriété au sens des articles 544 et 545 du Code Civil. La société américaine n’était donc pas en mesure de se prévaloir d’une atteinte à un tel droit.

 

Il s’agit donc ici d’une victoire incontestable de l’Etat français qui a invoqué pour la première fois la nullité d’une marque pour atteinte à un droit antérieur sur l’appellation de son territoire.

 

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